Escalades au Maroc
Un beau voyage au Maroc, éloge de la lenteur. Du Nord au Sud en passant par quelques belles villes et quelques spots de grimpe majeurs !
Avec Aude.
Lâcher prise
Un voyage est rare, suffisamment pour le laisser libre de nous bercer au gré des rencontres et des envies. Le prétexte au départ est l'escalade qui nous est promise belle mais nous ne voulons pas nous presser et laisser porte ouverte à l'imprévu.
Un billet de ferry à l'aller et un retour en avion. Deux dates entre lesquelles tout est à composer ! En tête un site de grimpe au Nord du coté de Chefchaouen (Caïat) et un autre, plus connu, dans le Haut Atlas autour du petit village de Taghia.
Port de Sète. L'embarquement incessant de voitures et utilitaires sur-blindés témoigne de la maîtrise marocaine du chargement ! Ça s'engueule au guichet pour quelques « centimètres » en trop.
Nous larguons les amarres pour trois jours de traversée mémorables en compagnie de nombreux marocains de retour au pays. À bord, chaque mètre carré disponible est vite transformé en un chez soi chaleureux où les uns partagent le thé pendant que d'autres siestent, prient, mangent, lisent, cuisinent, discutent etc... Un joyeux souk en haute mer !
Déstabilisés, il est temps de se déconstruire un peu pour s'ouvrir à un quotidien qui n'est pas le notre. Agréable sensation de moins comprendre, de se faire surprendre. On lâche prise, le voyage commence. Yahla !
Caïat
Tanger. Il pleut, le printemps français nous suivrait-il ? On saute dans le premier bus qui part pour Chefchaouen. Synchro parfaite ! Un coup de chance qui nous suivra à peu près tout le long du voyage. La vieille carlingue s'ébranle, roule et roule à travers le paysage verdoyant d'un Nord marocain printanier. Ça craque, ça grince mais ça déroule.
Chefchaouen. Le temps est toujours maussade et nous remontons lourdement chargés la médina bleutée pour atteindre notre premier gîte. Notre hôte nous accueille avec une voix d'une incroyable douceur, l'ambiance est paisible.
Une bonne nuit de repos et un taxis collectif plus tard (7 dans une 5 places) nous voici à Caïat pour passer quelques jours à découvrir ce site de grimpe relativement récent au potentiel à peine effleuré. Bien accueillis au café Rueda, on y trouve tous les topos du coin et quelques bons conseils du gérant, grimpeur et équipeur. Malheureusement pour nous, l'arabe nous faisant autant défaut que son français, c'est avec un espagnol titubant que nous essayons vaguement de nous faire comprendre. Les signes et dessins seront plus efficaces !
Les écoles d'escalade sont déjà bien équipées et nous passerons l'après-midi à retrouver les sensations sur une jolie couenne. Abdel Mali, un marocain intrigué, tente l'expérience et c'est avec une agilité déconcertante qu'il se faufile en haut d'un 6a+ !
Mais l'objet de notre visite reste la falaise principale qui fait bien 2km de long sur 350m de hauteur. À la louche, une dizaine de voies équipées et autant de voies à protéger soi-même. Si les couennes sont abordables ( à partir du 5b environ), les grandes voies équipées sont d'un niveau plus relevé avec généralement du 7b et plus.
Le terrain moins aseptisé s'accordant bien à notre voyage, on sort la quincaillerie pour 300m de "terrain d'aventure". Après un lever matinal et quelques affrontements avec des molosses hystériques nous atteignons le pied de El Hajar Akbar (La Grosse Pierre) qui sera notre première voie marocaine. Ouverte en décembre 2012 par Arnaud Guillaume et Christian Ravier, on y trouvera des relais, des lunules et du rocher tous frais. L'équipement a été bien pensé avec un spit de 12mm à chaque relais et quelques spits de 8mm aux endroits difficilement protégeables. La précision du topo est à souligner, merci à eux ! Le rocher neuf demande parfois de l'attention notamment à la fin du 6c et dans la deuxième partie. Globalement la voie nous a plu même si Aude aurait sans doute préféré apprivoiser davantage l'endroit avant de s'y lancer. Nous étions pour l'occasion accompagnés par quelques singes curieux ! Grosse journée quand même où les doigts auront été brutalement sensibilisés au rocher local (abrasif !).
Curieusement, l'escalade, activité parfois aventureuse, nous replonge dans une bulle familière. La lecture du rocher, la gestuelle, la gestion de la progression, des protections : tout ce savoir faire connu semble décorrélé de la culture locale et détourne un peu l'esprit du voyage. Heureusement après une journée comme celle-ci, à la saveur d'un thé à la menthe et d'une discussion marocaine, voyage et escalade se conjuguent à nouveau et transportent un peu plus les voyageurs que nous sommes.
Le lendemain, petite balade à Akchour aux portes du parc nationnal du Rif qui semble être LE spot touristique marocain du coin. Coup d'œil rapide qui laisse entrevoir de belles possibilités d'ouverture de couennes. Fin de journée sur le secteur du Triangle avec de très belles voies malgré les doigts qui souffrent.
Impériale
Sac au dos, on reprend la route vers le Sud. Un coup de stop nous dépose sur la route principale où nous monterons dans le premier bus qui descend vers le Sud. Direction Fès, ville impériale s'il en est ! Changement d'ambiance pour une ville grouillante d'activité. Contrairement à ce que nous pensions, nous ne serons pas assaillis par des hordes de rabatteurs.
Session touristique donc à se perdre dans la médina et errer dans cette ville bien sympathique. Bien contents aussi de trouver quelques boui-bouis où se remplir l'estomac pour quelques dirhams. Sur les délicieuses M'semmen (galettes feuilletées), nous profitons de la seule occasion du voyage pour goûter un bon fromage de chèvre frais car malgré le grand nombre d'éleveurs de chèvres rencontrés, le choix de fromages marocains se limitera ensuite à la fameuse Vache qui Rit...
Zaouit Ahansal
Après une nuit à Fès, nous continuons vers le Sud avec un gros transit en bus qui nous dépose de nuit bien fatigués à Beni Mellal, une ville-rue assez glauque où nous passerons la nuit dans le premier hôtel venu tout aussi glauque. Bref ravitaillement puis direction Ouaouizerth qui marque la fin du bitume et le début du Haut Atlas ! Coup de chance encore une fois puisque nous sautons directement dans un minibus collectif pour Zaouit Ahansal (prononcez Zaouïte Arènssal) : "le p'tit Jésus est avec [n]ous" d'après un marocain qui a assisté à la scène.
Les 6h de piste à 15km/h de moyenne le cul entre deux fauteuils marquent un certain changement d'ambiance ! A travers les vitres poussiéreuses filtre un paysage magnifié par un temps orageux. Dans le bus, une femme voilée intégralement, un paysan berbère aux mains calleuses et au teint buriné, un père de famille et son bidon d'huile d'olive et deux religieux avec un iPod sur les oreilles !
- Beher ? - Labes, amdulillah !
Soudain le minibus s'arrête au milieu de nulle part... De ce paysage minéral apparaît un homme, deux mots sont échangés, le berbère au teint buriné lui remet une faucille puis l'homme disparaît ! Un rendez-vous de l'improbable hors du temps qui nous échappe totalement !
Zaouit Ahansal. Nous ne sommes plus que trois dans le minibus. Demain c'est le souk hebdomadaire et la pluie ne semble pas perturber les marchands qui préparent les stands.
En chemin vers Taghia
Après une nuit tout confort chez Youssef, un guide local, nous partons pour Taghia accompagnés d'un muletier sous un beau soleil. Tous les villageois alentours descendent au souk avec la mule. Nous ne croiserons que peu de femmes, ces dernières étant assignées généralement au travail dans les champs ! Cet événement hebdomadaire semble rythmer la vie et est l'occasion de se retrouver entre villageois.
Taghia
Taghia est un petit village blotti dans un cirque majestueux d'où se déploie une ramification de canyons exceptionnels. De fabuleuses parois enserrent ces gorges et atteignent parfois les 800m de haut. Faites d'un calcaire doré souvent parfait, l'escalade est ici majeure ! Des sources abondantes et surprenantes offrent au village une agriculture riche. Bienvenue à Taghia !
Après un accueil au pain - huile d'olive à tomber par terre, on se relève pour aller grimper Belle et Berbère une jolie voie à deux pas du gîte. 250m d'escalade (on trouve difficilement moins dans le coin) assez jolie qui permet de se familiariser avec les lieux et qui ouvre le regard sur les environs.
Saïd chez qui nous logeons, accueille chez lui les voyageurs depuis près de 20 ans. Il a vu l'évolution de la fréquentation de ses montagnes, des randonneurs aux grimpeurs. Son gîte, agrandi récemment, permet d'accueillir une bonne quarantaine de voyageurs. Lui et sa famille s'adaptent de manière remarquable aux différents taux de fréquentation pour un accueil au top ! Il gère le berbère !
Le lendemain, on ressort les coinceurs pour partir dans Danse avec les Mules, une ligne qui saute au yeux en regardant la face Nord Ouest de l'Oujdad, le sommet imposant qui domine directement le village. La voie est sympathique avec quelques belles longueurs. Si la descente en rappel depuis le haut des difficultés est possible (avant les deux dernières longueurs de 5), il est très joli de poursuivre jusqu'au sommet par la belle arête Ouest.
Petite grasse mat' et nous nous lançons dans Canyon Apache, une voie magnifique et une approche ludique. Les deux 6c sont sublimes : techniques et soutenus, un style que j'affectionne particulièrement.
Nous nous trouvons ici au royaume des bergers, à longueur de journée et sans chien, ces derniers mènent inlassablement leurs troupeaux de chèvres ou de moutons au delà des canyons. Transhumance technique s'il en est puisque même nous, pauvres grimpeurs, auront sorti la corde lors d'approches escarpées !
Après une petite journée de repos à se balader et repérer l'approche de Baraka, on part le lendemain pour une grosse journée dans le sauvage vallon de l'Akka n'Tazarte. Une jolie face à l'entrée du canyon où se faufile une seule ligne : Parfums de Berberechos.
Nous nous lançons bien réveillés par une approche vivante avec la traversée du village de Tamdarote sévèrement molossée et la présence d'un scorpion sous chaque caillou au pied de la voie.
Cette voie, ouverte par le fameux trio Guillaume, Thivel, Ravier en 2002, propose une escalade aventureuse avec très peu d'équipement en place et une recherche d'itinéraire intéressante. 9h nous aurons été nécessaires pour venir à bout des 400m. Le topo est simple et laisse une bonne part d'improvisation. Un crochet à lunule n'est pas inutile dans ce genre de terrain calcaire. Une voie sauvage, à faire !
Le retour par les hauts plateaux aux belles lumières complète merveilleusement la journée. Terre de nomades, l'ambiance désertique contraste avec celle de la vallée.
Après cette longue journée, petite journée détente et une gourmandise bien équipée : Au Nom de la Réforme. Une très belle voie sur un rocher parfait (ça devient lassant !).
Comme cela semble être la grande classique du coin, on se lance le lendemain dans Baraka une très longue voie de 680m en très bon rocher. L'approche est sublime face aux parois impressionnantes du Tagoujilt n'Tsouiannt et dominant le profond canyon de l'akka n'Taghia.
Si la première partie propose une belle escalade, la seconde moitié est moins enthousiasmante mais permet de sortir au sommet (quelques friends moyens peuvent être utiles dans cette seconde partie).
Départ de Taghia
Le soir avec Saïd, on discute sur la possibilité de rejoindre M'semrir à pied. Possible à la journée paraît-il, curieux car la distance paraît grande... Au Maroc, tout est possible !
Ahmed, un jeune du village nous accompagnera avec sa courageuse mule pour porter nos affaires. Départ à 6h00.
7h00, arrivée précipitée d'Ahmed. Chargement de la mule encore toute pimpante et départ pour une longue journée de marche à travers un paysage lunaire. Peuplé de nomades, nous croiserons de nombreux troupeaux sur ces hauts plateaux. Transition douce vers le Sud.
La mule, qui fait ce long trajet pour la première fois, tire la langue et traîne de plus en plus la patte. Coups de bâton, pics sous le ventre, chatouilles de la patte, tout est bon pour la faire avancer ! La descente sur Oussikiss est interminable.
Le museau à raz le sol, la courageuse mule arrive finalement à destination après 11h de marche. Gros dodo pour tout le monde et un grand bravo à Ahmed et sa mule qui feront le chemin en sens inverse le lendemain.
Todgha
Nous descendons les gorges du Dades au petit matin avec une lumière exquise qui ne fait que cultiver ma frustration d'être derrière la vitre mouchetée du minibus collectif. Petit aller-retour tout de même dans les gorges de Todgha. L'endroit est très touristique et nous n'y resterons que le temps d'une escalade : le Pilier du Couchant, une petite voie historique sur un excellent rocher. Malgré les va-et-vient touristiques, l'immense palmeraie qui descend sur Tineghir est un véritable havre de paix.
Sable et lumière
Après cette dernière étape grimpante, un grain de sable nous décide pour un dernier crochet désertique. Direction l'Erg Chebbi du coté de Merzouga. Si ces immenses dunes peuvent faire penser à un désert, il n'en est rien puisque ce gros tas de sable ne fait que 110km² et possède une vaste nappe phréatique à quelques dizaines de mètres de profondeur !
Cet avant-goût de désert aura néanmoins ouvert notre curiosité pour cet environnement si particulier.
Perle du Sud
Sous une chaleur sèche, prémisse de l'été bouillonnant, nous reprenons la route en direction de Marrakech. Encore de belles rencontres pendant ces dernières journées sur la route avec un coup de cœur particulier pour la paisible ville d'Alnif !
Le voyage se termine, perdus au fin fond des souks marrakchis à pousser âprement le jeu de la négoc', enivrés des milles odeurs d'un Maroc coloré qui nous aura transporté par ses habitants, sa culture, ses paysages et son escalade.