Pointe du Vallon des Etages - voie Fourastier
Une grande course au cœur d'une face sauvage de l'Oisans.
Avec David.
Quelques cheminées fument, un carré de potager pointe fièrement de jeunes salades, les Etages, petit hameau de la vallée du Vénéon, s'éveille doucement de sa torpeur hivernale. Sur l'autre versant, un affluent du Vénéon ronronne une eau puissante, témoin d'un vallon secret et préservé : le Vallon des Etages. Dans ce vallon, pas de refuge, aucun col n'ouvre facilement ce havre de sauvagerie au reste du massif.
On y découvre un paisible et long plat qui dénivelle lentement jusqu'aux glaciers dont la douceur est brisée par l'élan vertical de la face Nord de la Pointe du Vallon des Etages. Austère parois glaciale, cette muraille est blessée en son centre par une ligne oblique évidente, objet de notre visite.
Cette rayure a été parcourue pour la première fois durant l'été 1935 par Maurice Fourastier, Henri Le Breton et Maurice Laloue. Aujourd'hui, cette voie grandiose de l'Oisans se parcourt en conditions plus hivernales afin d'y trouver de la glace et de la neige favorables à une progression avec piolets et crampons dans un terrain dit mixte. Outre l'intérêt technique de ce type de conditions, la glace fige davantage le rocher pour plus de sécurité.
Les conditions de glace de cette voie sont difficiles à appréhender et l'incertitude demeure jusqu'au pied des difficultés qui sont ici situées dans la moitié supérieure de la face formée par un couloir-cheminée très encaissé et invisible du bas.
Nous plantons la tente avec David face à la belle face rougeoyante au couchant. La journée du lendemain promet d'être longue.
Après une brève nuit, l'approche est agréable sur une neige bien regelée puis une poudreuse portante, l'attaque de la voie est vite atteinte. Pour prendre pied dans la ligne proprement dite, deux longueurs d'escalade sur un rocher froid et souvent enneigé donnent le ton. Mais le granit est beau et se protège très bien.
Après avoir rejoint un éperon, nous sommes surpris par la visite matinale du soleil qui réussit à inonder cette face Nord. En effet la belle diagonale de la voie Fourastier casse la planitude de la face en une orientation matinale et une orientation vespérale lui autorisant ainsi deux visites furtives du soleil.
La neige nous obligera tout de même à mettre les crampons pour escalader la deuxième longueur de rocher. Puis, quelques pas de mixte permettent de prendre pied sur cette grande diagonale si évidente depuis la vallée. La simplicité de ce motif devient à presént un monde immense que nous parcourons telles deux minuscules fourmis. La ligne s'est déployée en mille dimensions d'un vaste univers fuyant. La perspective s'étire, l'ambiance est prenante.
Nous remontons lentement la première partie d'un couloir dont la neige plus ou moins profonde repose parfois sur de grandes zones de rocher peu adhérant. Bien se protéger est un soucis permanent dans ce terrain peu difficile mais délicat et changeant. Quelques passages de mixte nous demandent de la concentration et nous arrivons enfin au pied des longueurs difficiles dans les entrailles d'une profonde cheminée.
A notre plus grande joie, les conditions qui jusqu'ici se montraient très variables et ne laissaient rien augurer de la suite deviennent excellentes ! Au-dessus de nos têtes, une fine goulotte de neige compacte et glace se faufile vers le haut.
Ces longueurs d'une grande esthétique sont avalées avec gourmandise et euphorie. Les piolets et crampons mordent assurément dans une glace ou neige tendre. La grimpe est parsemée de jolis pas de mixte, de quelques beaux plaquages de glace ou de fines étroitures remplies de glace et la qualité de protections permet d'en profiter pleinement.
Cet encaissement est suivi par une raide rampe de neige suspendue qui ouvrent un regard vertigineux sur la face et permet de sortir au sommet.
Le temps s'est gâté et il neige, heureusement sans vent. L'heure est déjà bien avancée et nous entamons la longue descente que nous ne connaissons pas. C'est dans un épais brouillard que nous errons pour trouver l'amorce de l'arête Nord-Est que nous devons parcourir. Après quelques impasses abruptes, nous prenons finalement pied sur le bon fil et déroulons cette longue arête qui apparaît au fur et à mesure à travers ce temps de coton.
Après cette interminable descente à l'aveugle accompagnés du scintillement de millier flocons, nous retrouvons finalement notre tente au halo de la frontale. Bien fatigués on se laisse bercer par le ronron du réchaud avant de sombrer dans un sommeil bien mérité.
Au matin d'une bonne grasse matinée, notre bivouac est inondé de soleil, le paysage est radieux. Contemplatifs, on apprécie avec délices ces petits moments paisibles qui suivent d'aussi belles et intenses journées de montagne. La Pointe du Vallon des Etages est plâtrée de neige, nos traces ont déjà disparu et nous quittons finalement nous aussi ce beau Vallon des Etages.
Un grand voyage en Oisans, merci Dav' !